Ocean Coalition

L’hypocrisie de la protection “à la française”

La France clame haut et fort qu’elle protège « plus de 30% de son territoire marin » mais c’est absolument faux. Un chercheur du CNRS[1] a quantifié la protection « réelle », c’est-à-dire les zones où il était interdit de détruire, et c’est moins de... 0,1% des eaux de la France métropolitaine !

La pêche industrielle peut ainsi faire main basse sur plus de 99,9% des eaux proches de nos côtes.

Pourquoi les appeler « protégées » alors si les aires marines « protégées » ne le sont pas ?

Pour faire croire que nous sommes au rendez-vous de l’Histoire et de la lutte contre l’effondrement des espèces sauvages et du dérèglement climatique alors qu’en réalité, la seule chose que le gouvernement protège en laissant les aires marines « protégées » être ravagées par des activités à fort impact, ce sont les intérêts d’un petit nombre d’acteurs, les chalutiers, œuvrant principalement pour la grande distribution.

La France s’est d’ailleurs fait épingler par la célèbre revue scientifique « Nature » pour son hypocrisie environnementale.

Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas seul.es à vous poser cette question !

En juillet 2023, un sondage IPSOS de 1000 personnes a montré que 44% des Français.es pensaient naturellement que les pêches destructrices étaient déjà interdites dans les aires marines protégées. Le même sondage montre aussi que 78% des Français sont favorables à la protection « stricte » (sans aucune pêche) de 30% des eaux françaises tandis que 81% des Français pensent qu’il faudrait « réserver les eauxproches de la côte aux pêcheurs artisans plutôt que de continuer à les laisser accessibles aux pêcheurs industriels ».

En somme, les citoyens sont prêts mais le pouvoir a du retard. La France a encore du chemin à faire pour être à la hauteur des attentes citoyennes, des recommandations scientifiques et des normes européennes.

Cela est d’autant plus dommage que la protection, ça marche !

En 5 à 7 ans, les biomasses de poissons se multiplient tout autant, par 6 ou 7 ! En surabondance, les poissons quittent les zones protégées et repeuplent l’océan, ce qui bénéficie à tous mais surtout aux pêcheurs artisans. Lorsqu’ils ont compris que les zones protégées étaient leurs meilleurs alliées, les pêcheurs les défendent très ardemment. C’est certain que tant queles aires marines sont faussement protégées et qu’elles forment, comme en France, un amoncellement complexe de normes réglementaires inutiles et inefficaces, on comprend que la « protection » n’ait pas encore bonne presse chez les pêcheurs.

A nous de faire bouger les lignes !

[1] Claudet et al. (2021) Critical Gaps in the Protection of the Second Largest Exclusive Economic Zone in the World

Chiffres et données utiles

Les chiffres, il n’y a que ça de vrai dans un monde qui a industrialisé les fake news ! Voici une sélection de quelques données pour comprendre les enjeux autour de l’océan.

Pourquoi s’inquiéter de 1.5°C ou 2°C de réchauffement ? Ce réchauffement n’est que le réchauffement moyen, certaines régions se réchauffent 2 à 3 fois plus rapidement. L’Europe, par exemple, subit un réchauffement presque deux fois plus intense que la moyenne globale. Le dérèglement climatique est associé à une augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements extrêmes : vagues de chaleur, pluies torrentielles, sécheresses, inondations côtières. Certaines régions du monde deviennent inhabitables pour les humains : trop chaudes, trop arides, trop humides, cela entraîne des exodes de masse des animaux sous l’eau et des humains sur Terre. Nous sommes toutes et tous concerné.es. La France, en tant que première puissance maritime européenne et deuxième puissance maritime mondiale, peut avoir un effet d’entraînement sur la communauté internationale si elle montre la voie de la vertu.

Le rôle de l’océan

  • L’océan a un rôle de thermostat planétaire mais le changement global met en péril sa capacité à continuer à jouer son rôle de régulateur aussi efficacement à l’avenir.
  • L’océan a capté 20 à 30% du CO2 émis par les activités anthropiques depuis 1980[2] et produit la moitié de l’oxygène disponible à la vie.
  • La concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a jamais été aussi élevée depuis plusieurs millions d’années.
  • L’océan a déjà absorbé 93% des excédents de chaleur produits par les activités humaines au cours des 50 dernières années. Sa température moyenne, comme celle du globe, ne fait qu’augmenter en conséquence.
  • Le « carbone bleu » désigne le carbone qui est séquestré par l’océan. Certains écosystèmes océaniques comme les mangroves, les marais salants et les herbiers, fixent le carbone à un taux 10 fois plus important que les écosystèmes terrestres et côtiers.
  • Une grande baleine stocke autant de carbone sur la totalité de sa vie que 1500 arbres[3] mais le stockage de carbone par les animaux marins se fait sur plusieurs millions d’années lorsque ceux-ci se transforment avec le temps en dépôts pétrolifères.
  • L’importance du nombre des petits poissons dits « mésopélagiques », vivant entre 200 et 1 000 mètres, a été revue à la hausse : ils sont au moins 10 fois plus nombreux que ce que l’on pensait, ce qui fait d’eux le groupe de vertébrés le plus important de la planète.[4] Ces poissons « myctophidés » sont des migrateurs verticaux qui passent la journée dans les eaux profondes et se déplacent, la nuit venue, vers les eaux de surface pour se nourrir. Parce qu’ils servent de nourriture à des poissons démersaux vivant à proximité du fond, à des profondeurs au-delà de 500 mètres, ils permettent de séquestrer d’immenses quantités de carbone dans les profondeurs de l’océan : tout le carbone qui passe sous la barre de la couche de mixage de l’océan, au-delà de 500 m, est piégé pour des milliers d’années.[5]

État de l’océan

  • Les océans sont de loin le plus grand réservoir de carbone actif de la planète, puisqu'ils stockent environ 38 000 milliards de tonnes de carbone. À titre de comparaison, ce chiffre est plus de 28 fois supérieur à la quantité de carbone stockée par la végétation terrestre et l'atmosphère réunies[6].
  • La température moyenne à la surface de l’océan bat coup sur coup des records historiques https://pulse.climate.copernicus.eu/
  • Le niveau des mers augmente de près d’un demi-centimètre par an, mais en mars 2024, la NASA a alerté d’une augmentation subite de cette cadence déjà inquiétante : en 2022 et 2023, le niveau d’élévation des mers est passé à 0,76 cm par an. Ce bond serait dû à la combinaison avec le phénomène El Niño[7].
  • La biodiversité marine a diminué de moitié en 50 ans…

Les ravages de la pêche industrielle

  • La pêche est la première cause de destruction de la biodiversité marine selon les experts internationaux de la biodiversité (l’IPBES).
  • Selon la Commission européenne, près de 80% des fonds marins côtiers sont « considérés comme altérés », en raison notamment du chalutage de fond.
  • Les flottes françaises utilisant un chalut raclent 600 000 km2 de fonds marins tous les ans, soit plus que la superficie de la France métropolitaine.
  • Dans l’Atlantique Nord, 90% des espèces marines de prédateurs (thons, marlins, espadons etc.) ont disparu depuis 1900 à cause de la surexploitation.
  • En plus d’anéantir la biodiversité et les écosystèmes marins, les chalutiers remettent en suspension le carbone stocké dans les sédiments océaniques qui a mis des millénaires à s’accumuler (370 millions de tonnes de dioxyde de carbone). Dans les sept à neuf ans qui suivent le passage des chalutiers, 55 à 60% du carbone libéré pénètre ainsi dans l’atmosphère[8].
  • La pêche industrielle dépend des subventions publiques pour être rentable.
  • Les subventions en France sont essentiellement liées aux exonérations sur le gasoil (63%) et profitent donc aux pêches industrielles, très énergivores.
  • À l’inverse des chalutiers de fond, la petite pêche artisanale (qui utilise les « arts dormants », des engins “passifs” tels que les filets, casiers ou lignes) est plus rentable, plus créatrice d’emplois, elle n’impacte pas les fonds marins, dépend bien moins des subventions et émet peu de CO2.

Les aires marines protégées

  • Une synthèse de plusieurs études a montré qu’il y avait une augmentation de la biomasse dans les aires strictement protégées (« No-Take Zones ») jusqu’à 670% supérieure à celle des aires non protégées et 343% supérieure à celle des aires partiellement protégées adjacentes[9].
  • Dans l’ensemble de la Méditerranée, 95% de la surface couverte par des AMP ne présente pas de régulation suffisante des activités humaines pour garantir une bonne santé des océans[10].

[2] Macreadie et al. (2019) The Future of Blue Carbon Science
[3] IMF (2019) Nature’s Solution to climate change: a strategy to protect whales can limit greenhouse gases and global warming
[4] Irigoien et al. (2013) Large mesopelagic fishes biomass and trophic efficiency in the open ocean. Nature Communications.
[5] Davison et al. (2013) Carbon export mediated by mesopelagic fishes in the northeast Pacific Ocean. Progress in Oceanography.
[6] https://www.sciencedirect.com/topics/earth-and-planetary-sciences/global-carbon-cycle
[7] https://www.jpl.nasa.gov/news/nasa-analysis-sees-spike-in-2023-global-sea-level-due-to-el-nino
[8] https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fmars.2023.1125137/full
[9] Sala et Giakoumi (2018) No-Take Marine Reserves Are the Most Effective Protected Areas in the Ocean
[10] Claudet et al. (2020) Underprotected Marine Protected Areas in a Global Biodiversity Hotspot

Aller à la source

  • Consulter la page de BLOOM pour s’y retrouver sur les aires marines réellement ou faussement « protégées »
  • Lire l’excellent rapport de Seas at Risk et Oceana : « Exploring alternatives to Europe’s bottom trawl fishing gears », mai 2022.
  • Lire le rapport sur la transition des pêches « Changer de Cap » produit par un groupement de recherche comprenant des chercheurs de l'institut Agro, d'AgroParisTech, de l'EHESS-CNRS et de BLOOM, en collaboration avec The Shift Project.
  • Découvrir l’outil de France Nature Environnement pour visualiser les heures de pêche dans les aires marines supposément « protégées »
  • Prendre connaissance des recommandations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) pour la protection des écosystèmes
  • Lire l’éditorial de la prestigieuse revue scientifique Nature qui dénonce « l’hypocrisie qui menace les océans du monde » et épingle la France pour son refus d’interdire le chalutage dans les aires marines dites « protégées »
  • Plonger dans le « Plan d’action pour l’océan » publié par la Commission européenne en février 2023 pour que les États européens engagent enfin une véritable politique de protection du milieu marin et de transition du secteur de la pêche

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